TOUCHER AU SOLEIL
et tant pis si ça brûle !
Louise Thouin
"
Je voudrais tant qu'on m'aime ! " disent-ils tous ensemble dans un
même cri, un cri qui vient autant des plus pauvres bidonvilles que
des condos super modernes et des riches villas du bord de la mer.
"
Aimez-moi je vous en prie. Avec le meilleur de moi, avec le pire aussi.
Avec mes bonnes intentions et mes maladresses, avec mes méchancetés,
mon cynisme et cette pulsion que j'ai parfois de tout détruire, même
ceux qui pourraient m'aimer
Je vous en supplie, aimez-moi malgré
tout ! J'aimerais tant que quelqu'un m'aime. Que quelqu'un m'aime vraiment
pour une fois ! "
Aimez-moi
Mais d'où vient-il ce désir plus grand que nous ? D'où
vient-elle cette quête insensée d'amour à tout prix
? D'où jailli cette exigence ? Sera-t-on capable de le combler un
jour, ce besoin primordial d'être totalement aimé ? Ou bien
faudra-t-il s'en débarrasser et le faire taire une fois pour toutes
pour être enfin tranquille ?
...
Six
jours sans nouvelles de toi. C'est trop !
Je viens de me réveiller
dans ce grand lit où nous nous sommes tant aimés
mais
si peu longtemps ! je n'arrive plus à me rendormir. La nuit
est longue et le voile qu'elle étend sur moi est plein de replis.
Tu es tellement loin
Je vis à l'extrême la douleur de ton absence. Je ne croyais
pas que ça serait si difficile. C'est comme une lame fine qui entre
et sort de mon cur. La douleur vient, elle me renverse, me renverse
encore et me rejette sur le rivage. Je me relève et une autre vague
se brise sur moi à nouveau.
Tu
me manques tellement
touche-moi, caresse mon visage, embrasse ma vie.
Deviens velours pour ma peau, vent doux pour mes cheveux et miel pour ma
bouche. Sois l'extase pour mon ventre, mêle ton souffle au mien. Embrasse-moi
! Viens, je t'en prie, ouvre le ciel
Mon
amour, mon amour, m'entends-tu ? J'avais mis tant d'efforts et tant d'années
à créer un équilibre heureux entre moi et la vie. Comme
je me suis voulue forte et indépendante et libre ! Et voilà
que je ne suis plus qu'une femme amoureuse désemparée, qu'une
femme de désir en mal de tes bras ! Je m'étais bien dit qu'aucun
homme n'allait plus me faire pleurer et voilà que toi tu m'as dit
" je t'aime ", et je marche maintenant au beau milieu de rien
à attendre éperdument que tu me rejoignes.
Je n'ai plus de repères, j'ai perdu mes références.
Je rêvais pourtant d'un grand amour de joie. Est-ce que cela sera
un jour possible ?
Et cette blessure sur ton cur à toi, quand pourra-t-elle se
calmer ? se refermer et guérir ?
Je ne sais plus rien. Je n'existe plus. J'ai trop mal.
Mon
amour, mon amour, la mort, la souffrance et l'amour se confondent-ils ?
Faut-il absolument qu'ils se mêlent ainsi pour nous projeter vers
autre chose ?
Je
t'aime si fort et si
totalement. Est-ce à cause de tant d'amour
pour toi que mon cur est devenu poreux et de plus en plus perméable
aux autres ?
Que
se passe-t-il ? je t'aime, je suis unie à toi dans l'intimité
la plus totale et voilà que c'est l'humanité tout entière
qui devient ma famille proche !
Mon
amour, au bout de nous, tout se confond, tout s'explique et tout se comprend
! Là où je suis, il n'y a plus que quelques formes simples
au milieu du vide. C'est si clair, si naturel
Si tu savais !
- Je sais, c'est nous qui compliquons tout.
- Tu comprends ça ? Tu comprends
jusque-là ?
- Bien sûr
- Je suis morte un peu, je crois.
- Impossible de mourir " un peu " . On meurt beaucoup chaque fois.
Moi aussi, je suis morte mille fois.
- Mourir, est-ce donc la seule façon d'aller vraiment plus loin ?
- Il y a d'autres morts aussi, parfois moins difficiles, celles-là.
Mais c'est toujours au cur de la fragilité absolue que se cache
l'ouverture. Pas juste la petite mort de l'amour, la grande mort aussi.
Celle qui concerne tous les humains de la planète.
- Mais
quelle porte étrange avons-nous ouverte ainsi en nous
aimant si fort ? Comment est-ce arrivé ?
A
présent, me voici dans l'ouverture ! Elle est là, la porte
! Dans le silence vivant entre deux notes de musique. Dans le vide dangereux
qui se dissimule chaque fois entre deux respirations.
Là, dans cet espace sans nom, se cache aussi ce que j'appelle dorénavant
la Cinquième Saison ! La Cinquième Saison ! Celle où
ne se reproduisent plus continuellement les mêmes blessures d'amour,
les mêmes conflits de couple, les mêmes échecs amoureux.
La Cinquième Saison, celle qui saute par-dessus les bredouillements
et les impasses du temps, de l'été, de l'automne et de l'hiver.
Un espace totalement nouveau, sans mode d'emploi et sans précédent.
Serions-nous enfin arrivé là-bas ?
Oh ! Comme toi et moi avons tenté en vain de l'atteindre pendant
des siècles, ce début d'autre chose ! C'est un continent absolument
neuf qu'on s'apprête à découvrir
Tout un monde
différent dont on ne soupçonnait même pas l'existence
!
...
Tu
ouvres les yeux, tu me cherches du regard, tu poses ta main sur moi. Tu
es si inquiet. Je t'en supplie, ne perds pas pied mon amour, ! Tu souffres
autrement, mais autant que moi, je le sais. Mais si tu faiblis, mes dernières
forces vont s'en aller.
Je m'accroche à tes yeux. Le vide est grand ouvert sous moi. Je n'ai
plus de peau, plus d'enveloppe. Je suis sans protection, totalement offerte
et tout me pénètre.
Aime-moi
! Aime-moi jusqu'à là ! Dis-moi qu'après ce trou noir
viendra autre chose, qu'il faut passer par-là, que nous en avions,
dans un temps très lointain, décidé ainsi. Dans ce
temps autre, où tout nous a été dévoilé
complètement. Donne-moi surtout l'élan qui me manque maintenant
pour aller au-delà.
Ou alors si tu peux, saute avec moi jusque de l'autre côté
! A présent, je dois traverser. Je ne peux plus faire demi-tour,
c'est comme ça. Le passé brûle et avec lui les souvenirs
qui me retiennent.
Plus rien. C'est fini
...
Tu es venu et tu es reparti. Ce fut quelques heures à peine. Un cadeau
auquel je ne m'attendais pas. Une escale volée au temps entre deux
avions, deux pays, deux rendez-vous.
Mon
cur est triste parce que tu as dû t'en retourner, mais il est
en même temps étrangement rempli d'un bonheur tellement grand
que j'ai du mal à le contenir tout entier dans ma poitrine.
Comme
je t'ai aimé ! Je n'ai pas de mots pour décrire l'éblouissement
de ce bonheur qui n'arrête pas de grandir.
Dieu que je t'aime ! Te l'ai-je déjà dit ? Merci pour ta chemise
bleue porteuse de ton odeur que tu as fait semblant d'oublier exprès.
Je la revêts comme un vêtement sacré et tout d'un coup,
mes bras, ma poitrine, mon dos, mon ventre te reçoivent tout entier
et je me mets à vibrer, de bas jusqu'en haut, éblouie par
ta présence recréée d'homme de chair et de mystère.
Il reste des atomes vivants de toi dans cette chemise étendue sur
mon lit. Elle est émouvante comme ton corps endormi. Ces atomes me
reconnaissent, j'en suis sûre, ils sont encore reliés à
toi. Alors, ils se mettent à aimer mes atomes à moi et tout
mon être se met à chanter cette chanson dont toi et moi seuls
connaissons la mélodie.
Oh
! ma vie, viendras-tu bientôt me rejoindre pour de bon ? Dans quelques
jours, quelques semaines, quelques mois ? tout est si incertain
Mais
je fais confiance. Nous avons accepté de nous aimer et de là,
tout va s'enchaîner, tout va se placer dans le temps. Les obstacles
s'aplaniront d'eux-mêmes. Jen suis sûre !
Je
porte au fond de moi le goût du paradis. C'est comme ça. C'est
arrivé, je ne l'ai pas fait exprès. Cela me fait presque peur
à présent. Oui, l'éternité m'attire
C'est
une main douce, trop douce pour être vraiment d'ici, une main qui
surgit du ciel et qui descend vers moi
Mais est-ce vraiment raisonnable
ou même viable de porter en soi la tentation du paradis.
Mais que se passe-t-il ? La main vient, elle m'appelle. Et voilà
que je lève la mienne vers le ciel pour la rejoindre. Debout, sur
la pointe des pieds, le corps tendu, j'essaie de monter, de monter là-haut.
Il n'y a plus que ça qui existe, je veux atteindre cette main. J'y
parviens ! Enfin, un point de contact !
Brusquement tout ce qui est autour de moi disparaît
Je pénètre
ce qui ne doit pas être pénétrer. Je touche à
ce qui ne doit jamais être effleuré. Alors s'ouvre l'immensité
du réel et, dans la lumière réinventée, j'entends,
pour la première fois, le silence
Mon souffle s'arrête,
je n'existe plus
La transfiguration est totale.
Combien de temps s'est-il passé depuis tout à l'heure ? Je
le vois qui range son cahier, son stylo. La réalité me rattrape,
c'est comme si je tombais brusquement sur le sol. Mes yeux sont fatigués,
ils brûlent et cela me donne un léger mal de tête
Je l'entends
Il monte me rejoindre. Le voilà. Il sourit toujours
comme ça quand il m'aperçoit dans le tournant de l'escalier
Et encore une fois, pour la cent millième fois, mon ventre et mon
cur s'abandonnent dans le vertige que provoque en moi son regard.
Le soleil vient percer le rideau de brume dans lequel le paysage dort encore
; le matin nouveau est plein de secrets
Dans le temps suspendu existent
déjà tous les mots d'aujourd'hui que je pourrais dire, tous
les gestes que je pourrais poser. Pourtant rien ne se dévoile encore
du jour qui vient. Et tout est possible
Le monde est d'une grande douceur ce matin. Je suis réveillée,
mais je ne bouge pas. Trop tôt pour troubler la vie !
Il dort à mes côtés, avec toujours sa main droite grande
ouverte posée en étoile sur son cur. Comme c'est émouvant
de regarder l'homme qu'on aime ! On dirait que je ne le regarde jamais assez
et que son visage ne s'imprime jamais suffisamment dans ma tête. C'est
un mystère un être humain, et il est bien trop grand à
découvrir pour le temps qu'il nous reste.
Pourtant, je suis sûre qu'un jour, à force de l'aimer autant,
je surprendrai son vrai nom. Son nom d'origine, je veux dire. Le nom essentiel
qu'il avait au commencement du monde, celui qu'il ignore lui aussi, et qui
le définit absolument.
Le jour se lève à présent et moi, cette espèce
de système intégré de plusieurs centaines de trillions
de cellules vivantes, moi qui suis peut-être en train de l'inventer,
ce monde, j'ai le vertige.
Vertige de cet espace sans limites qui s'ouvre devant moi. Qui a dit que
l'amour comblait ? Qui a dit qu'il était un but à atteindre,
un remède universel, une solution à tous les problèmes
? Qui a prétendu qu'il nous complétait, qu'il nous faisait
définitivement nous retrouver, qu'il donnait l'ivresse permanente
?
Je l'aime, moi, et il m'aime infiniment, mais je ne suis pas comblée
! Avec lui au contraire je deviens, chaque jour, un peu plus femme de désir
! Ce n'est pas la terre ferme et définitive que j'ai atteinte en
l'aimant d'amour, c'est plutôt une passerelle de verre ! Une passerelle
étroite comme un fil et transparente comme la justesse et la rectitude.
.. J'aime cet homme qui me fait devenir infiniment espoir, confiance et
exigence
Oh ! Le voilà qui sourit soudain, comme s'il suivait
dans son sommeil le fil de mes pensées !
Alors, en silence, je me mets à lui dire des mots qui ne se disent
pas, des mots presque indécents :
" Oh ! Comme je ne suis pas combler avec toi, mon Amour ! Et comme
c'est merveilleux ! Tu m'as épouvantablement dépliée,
déployée, ouverte sur toute ma longueur, ma largeur et ma
profondeur. Mes yeux se sont dessillés à force de te regarder
vraiment et maintenant , que je le veuille ou non, je vois tellement plus
clair. Et puis il y a ce désir de toi en moi qui n'en finit pas de
grandir
.
" J'ai accosté avec toi sur un autre rivage. Il n'existe ici
ni feuille de route, ni chemins déjà tracés, ni panneaux
indicateurs, ni cartes géographiques pour la direction à prendre
; Je ne suis même pas sûre qu'on puisse y trouver un sentier
tout tracé
Que du neuf sur un fond d'histoire ancienne ! Que
des espaces géants, des vides de l'âme à remplir d'amour
! "
Voilà. Tout se résout dans l'amour. C'est comme ça.
Si on aime vraiment, il n'y a plus de barrières
Le jour est levé. Tout peut arriver à présent, je ne
prévois rien. Je n'anticipe rien. Je souris
Oui, je crois bien
que je sourie ! Mais comment faire autrement ? C'est tellement déroutant
à vivre, le bonheur d'aimer !
