Extraits…
Ma Grand-mère est morte. Je voudrais bien, ce jour là, avoir un tout petit peu envie de pleurer, un tout petit peu envie d'y croire, mais non, j'ai perdu les larmes comme d'autres la vue ou la parole.
... Tu t'attendais à quoi ? je lui ai dit.Tu crois que ça va être facile de me quitter ? Tu crois que je vais te laisser faire comme ça ? J'ai lancé le cadre par terre, le verre s'est brisé mais c'était pas assez j'ai bondi du lit et j'ai déchiré la photo, celle qu'il prétendait tant aimer, la photo de nous deux en mariés, beaux et légèrement ridicules, il y avait tant de monde qu'on ne connaissait pas à notre mariage qu'on est parti avant la fin.
... Pourquoi, pourquoi ? Je voudrais lui demander. Mais je ne demande rien du tout, je ne peux pas sortir un mot…
Adrien est parti sans que je comprenne, il est parti, c'est tout.
... Je crois qu'il est quelqu'un de bien, malgré tout, Adrien. En dépit de tout, en dépit de lui, en dépit de ce qu'à tout le monde je répète, je crois qu'il est, malgré tout, quelqu'un de gentil et de bien. Quelqu'un de bien, ce type qui n'arrête pas de m'appeler, qui veut me parler m'expliquer, qui est parti mais qui voudrait que je sois encore là, au bout du fil ou de la laisse et que je ne cesse pas de penser à lui ?
... J'ai pas pleuré le jour où il m'a quitté. J'en mourrais d'envie, j'étais remplie de larmes à l'intérieur, à l'intérieur je hurlais, mais devant lui j'ai pas pleuré. J'ai pas pleuré non plus devant maman...
Le lendemain je l'ai appelé sur son portable. Ça y est, tu es parti, vraiment parti ? Oui ça y est, je suis vraiment parti. Il y avait tant de bonté dans sa voix, tant d'incrédulité aussi, il semblait avoir tant de mal à y croire lui-même, je sentais tant d'imploration dans sa façon de répéter je t'aime, je t'aime tant, pardonne-moi, pardonne-moi, pardonne-moi, que j'ai toujours pas pleuré et que je lui en ai même pas voulu. On est resté longtemps au téléphone sans se parler, nos respirations, nos cœurs qui battaient, ensemble encore, sur le même rythme encore, encore un peu, oh s'il te plait un tout petit peu, comme deux siamois tout juste séparés, comme un corps sans tête qui continue de courir, comme une tête sans corps qui continuer de râler, encore quelques instants, un dernier câlin, un dernier fix, un dernier soupir, la fin. On se taisait, il y avait trop à dire, on s'entendait si bien quand on ne se disait rien, c'est dans le silence qu'on s'entend le mieux finalement.
... Dans le silence maintenant je n'entends rien. Ça cogne dans ma tête mais je n'entends plus rien. S'allonger, allonger une jambe, laisser l'autre la rejoindre, ne plus bouger, tu vois, on était comme ça, comme deux jambes, deux doigts, deux jumeaux, deux inséparables.
... J'arrivais dans une pièce, est-ce qu'elle me plaît, est-ce que je me vois y vivre, avec qui, dans quelles couleurs, quelle musique, avec quelles envies,, quelles habitudes, mais c'est comme si j'étais coincée sur un manège, le manège tournait, et tournait, et ne s'arrêtait pas, comment descendre, comment stopper, comment reprendre pied, tout tournait autour de moi, et ma tête tournait avec le reste, je n'étais pas dans l'hésitation, je n'étais pas dans l'exigence ou le rêve ou le refus j'étais dans le vide, pas somnambule, pas zombie, non, juste vide, flottante, un peu ailleurs.
... Car je n'ai pas de goûts. Pas de dégoûts non plus, je crois. Je sais ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, je sais les modes, je connais les codes, mais ça laisse de la marge, c'est vaste et chez moi aussi c'est vaste et c'est pour ça que c'est vide, qu'il n'y a rien et que j'attends.
J'attends que le goût vienne, ou revienne, comme un appétit perdu, ou le sommeil pour un insomniaque. J'avais sûrement du goût quand j'était petite…
Alors j'attends. J'observe. J'ouvre grand les yeux chaque fois que je vais chez quelqu'un, est-ce que c'est beau, est-ce que ça me plaît, ouh dis donc qu'est-ce que ça me plaît ! je me force, ça pourra peut-être aider, allez, on dirait que ça me plairait, mais non, ça n'aide pas tant que ça… Avant c'était simple, j'aimais ce qu'Adrien aimait.
... Adrien m'a quitté pour une autre. Adrien ne reviendra pas. C'est ça, être adulte. Être adulte, c'est être remplacée.
... Ce qui est terrible, maintenant, c'est qu'on a plus rien à se dire. L'autre jour par exemple on se revoit dans un café trop plein de monde, mais bon, c'est pas grave, j'ai pas envie que tu cherches un autre café, c'est le hasard, il n'y a qu'à s'asseoir là, près de la porte, dans les courants d'air…
Et c'est juste des mots, des petits mots tout ronds comme des gouttes d'eau, glacés mais pas méchants, des mots qui ne font plus rien, des mots d'une vie qui n'est plus la nôtre, les gouttes d'une vie qui ne ressemble plus à une vie, tu m'ennuies.
Je m'ennuie ce jour-là Adrien. On ne s'est pas vu depuis si longtemps, et je m'ennuie…
Tu me regardes, tu attends une réponse, une réaction, ou peut-être pas, tu as juste lancé ces mots pour voir où ils tombent et comment. Et bien ils tombent par terre. Ils tombent à plat. Je pourrais te dire non, je ne suis pas d'accord, je ne me sens pas libre, je ne veux plus être libre, ça me fait horreur d'être libre, être libre de quoi, de trahir, de tromper, de faire du mal, d'être seule ?
… C'était marrant avant quand j'aimais tout de toi, toi en bloc, tes faiblesses, tes défauts, je les aimais aussi tes défauts, et j'aimais quand on discutait , j'aimais avoir tort contre toi, et raison avec toi, et t'embrasser, et te couper la parole pour te lancer oh là là tu as la peau douce.
… Je t'emmerde. J'ai envie, cette fois, de te dire : arrête je t'emmerde. Mais même pour ça on est plus assez proches. Je pouvais t'insulter, avant, puisque je pouvais t'aimer. Mais je ne vais pas t'insulter, comme ça, tout net, sans contrepartie d'amour.
… Bon, tu me dis, avec ce claquement de langue quand tu te sens coupable, alors soyons amis, j'aimerais qu'on soit amis, juste amis, décidons-ça. Ah non, je réponds, ça veut dire quoi être amis quand on s'est tant aimés, ça n'existe pas ce glissement là, c'est même immoral de passer de ça à ça, c'est hors de question….
Tu dis c'est vrai, mais je ne suis pas juste une connaissance, je ne suis pas quelqu'un que tu croises par hasard et avec qui tu vas prendre un café, moi je tuerai pour toi, et même je me tuerais pour toi. Tu dis ça, et tu devrais être ému, et ça devrait m'émouvoir, mais ça ne nous fait rien, ni à toi, ni à moi, parce qu'on sent bien, tous les deux, que c'est comme un texte appris par cœur, que tu n'es pas dans tes mots, c'est même incroyable comme tu es fat en disant ça, tu le dis d'une voix plate, sans accent, sans un pli.
…Tout ça me semble si loin tout, tout à coup. C'est comme une douleur séchée, des plaques de chagrin sclérosé, un grand soupir assourdi, et le regret, juste, de toutes les jolies choses qu'il nous restait à faire et qu'on ne fera plus. Faudrait une boule de cristal pour deviner le passé. Attention, faut pas être triste non plus. Faut surtout pas que je me remette à pleurer. Si je pleure, je vais tomber. Et ça voudrait dire quoi, tomber amoureuse, tomber malheureuse ? On ne peut pas tomber un peu. Quand je tombe c'est toujours de haut.
... Et j'en ai marre en même temps, de faire attention. J'en ai marre de la myopie, de la surdité, du mutisme. Mais j'en ai marre, aussi, d'être enfermée en moi avec tous ces sentiments que j'ai proscrits, tous ces mots que je ne veux plus dire, plutôt mourir que de les dire je me dis, à la casse les mots d'occasion déjà servis, c'est comme mon cœur, et mon corps, eux aussi ils sont d'occasion, eux aussi ils ont aimé, souffert, et alors ? Je ne vais pas me réincarner pour autant, ni me glisser dans l'âme d'une autre, ils sont là, ces mots, de toute façon, ils sont dans ma tête, dans ma gorge, Pablo les boit en m'embrassant, il les entend même quand je les enferme, tu crois quoi idiote ? Tu crois vraiment que je ne les entends pas, ces mots d'amour que tu ne dis pas ? C'est lui, bien sûr, qui a raison. J'ai honte, et j'ai honte d'avoir honte. J'ai honte de les penser les mots, et encore plus honte de ne pas pouvoir les dire. J'en ai marre de ce froid en moi. Marre de ne plus avoir chaud ni mal. Marre de passer à côté de la vie.
…Il a raison pablo. Faut arrêter de ne pas vivre ; Faut arrêter de pas pleurer.
... Moi, j'ai déjà des souvenirs avec Pablo, c'est déjà ça de pris. C'est le jour qui s'est levé. Tu vois Louise, on recommence, il m'a dit ce matin. C'est ça qui compte, recommencer.
... La vie est un brouillon, finalement. Chaque histoire est un brouillon de la prochaine, on rature, on rature, et quand c'est à peu près propre et sans coquilles, c'est fini, on n'a plus qu'à partir, c'est pour ça que la vie est longue. Rien de grave.
suite...