1 2 3 4 5 6 7 8 9   10 11 12
Accueil

 

clic-clac
2/2

 

Finies les réconciliations devant mon fameux poulet au Boursin
(« alors ?... tu crois pas que t'es mieux ici avec nous plutôt qu'avec ltfrgzqan dans un attrape-gogo sous vide ? »).
Finies les semaines au stabilo, fini le marché du samedi matin, finis les Gala qui traînent dans les toilettes ouverts aux pages de l'horoscope, finis les artistes de tout poil pour nous faire comprendre les chiffons de Boltanski, finies les nuits blanches, finis les polys qu'il fallait faire réciter à Fanny, fini le stress des jours de résultats, finis les regards noirs à la voisine du dessous, finies les chansons de Jeff Buckley, finis les dimanches à lire des B.D allongés sur la moquette, finies les orgies de bonbons Haribo devant Sacré soirée , fini le tube de dentifrice jamais rebouché qui sèche et qui me rend dingue.
Finie ma jeunesse.

*

On avait organisé un dîner pour fêter les examens de Fanny. Elle commençait à voir le bout du tunnel...
- Ouf ! plus que dix ans... me disait-elle en souriant.
Autour de la table basse, il y avait son interne (sans alliance, le lâche), (futur golfeur à marrakech, je maintiens), ses copines de l'hôpital dont la fameuse Laura avec laquelle les soeurs m'avaient monté un nombre incalculable de plans plus foireux les uns que les autres sous prétexte qu'elle avait parlé de moi un jour avec des trémolos dans la voix (Ah !... le coup où elles m'avaient donné rendez-vous chez la fameuse Laura pour un anniversaire surprise et que je me suis retrouvé seul toute une soirée avec cette furie à chercher ses lentilles dans sa moquette en poil de chèvre en garant mes fesses...).
Il y avait Marc (j'en profitais pour voir ce qu'était «un beau cul » ... mouaif...).
Il y avait des amis de Myriam que je n'avais jamais vus.
Je me demandais où elle dénichait des étrangetés pareilles, des mecs tatoués de bas en haut et des filles montées sur des échasses pas croyables qui riaient pour n'importe quoi en secouant ce qui leur tenait lieu de chevelure.

Elles m'avaient dit :
- amène des collègues si tu veux... C'est vrai, tu nous présentes jamais personne...
Et pour cause les filles... pensais-je plus tard en admirant la faune et la flore qui mangeaient mes cacahouètes vautrées sur le canapé Cinna que maman m'avait offert pour mon diplôme de comptable, et pour cause...

Il était déjà assez tard et nous étions tous bien cassés quand Myriam - partie chercher une bougie parfumée dans ma chambre - est revenue en glou-gloutant comme une dinde en chaleur avec le soutien-gorge de Sarah Briot entre le pouce et l'index.

Mes aïeux.
On peut dire que ça été ma fête.
- Hé mais qu'est-ce que c'est que ça ? Attends Olivier, t'es au courant que y'a des accessoires de sex-shop dans ta chambre ?...
De quoi donner la gaule à tous les mecs de Paris ! Nous dis pas que t'es pas au courant !?
La voilà partie dans un show d'enfer, incontrôlable.
Elle se dandine, mime un strip-tease, renifle la culotte, se retient à l'halogène et tombe à la renverse.
Incontrôlable.
Tous les autres sont morts de rire. Même le champion de golfe.
- C'est bon. Ça suffit j'ai dit. Donne-moi ça.
- C'est pour qui ? D'abord tu nous dis pour qui c'est... pas vrai les autres ?
Et voilà tous ces connards en train de siffler avec leurs doigts, de se cogner les dents contre leurs verres et de dégeulasser mon salon surtout !
- En plus t'as vu les lolos qu'elle a !!! Attends mais c'est au moins du 95 !!! hurle cette abrutie de Laura.
- On s'embête pas hein... m'a soufflé Fanny en faisant des trucs tordus avec sa bouche.

Je me suis levé. J'ai pris mes clefs et mon blouson et j'ai claqué la porte.
VLAM.

J'ai dormi à l'hôtel Ibis de la porte de Versailles.
Non, je n'ai pas dormi. J'ai réfléchi.
J'ai passé une bonne partie de la nuit debout, le front appuyé contre la fenêtre à regarder le Parc des Expositions.
Qu'est-ce que c'est moche.

Au matin, ma décision était prise. Je n'avais même pas la gueule de bois et je me suis tapé un petit déjeuner grandiose.


*

Je suis allé aux Puces.
C'est très rare que je prenne du temps pour moi.
J'étais comme une touriste à Paris. J'avais les mains dans les poches et je sentais bon l'after-shave Nina Ricci for Men distribué dans tous les hôtels Ibis du monde. J'aurais bien aimé que ma collègue de travail me surprenne au détour d'une allée :
- Oh Olivier !
- Oh Sarah !
- Oh Olivier, qu'est-ce que tu sens bon...
- Oh Sarah...

Je buvais le soleil devant une bière pression à la terrasse du Café des amis.
On était le 16 juin aux alentours de midi, il faisait beau et ma vie était belle.

J'ai acheté une cage à oiseaux tarabiscotée et pleine de chichis en fer.
Le gars qui m'a vendu ça m'a assuré qu'elle datait du XIXe siècle et qu'elle avait appartenu à une famille très cotée puisqu'on l'avait trouvée dans un hôtel particulier, intacte et patati et patata et vous règlez comment ?
J'avais envie de lui dire : te fatigue pas mon vieux, je m'en fous.
Quand je suis rentré, ça sentait le Monsieur Propre depuis le rez-de-chaussée.

L'appartement était nickel. Pas un grain de poussière. Avec même un bouquet sur la table de la cuisine et un petit mot : « On est au Jardin des Plantes, à ce soir. Bisous. »
J'ai défait ma montre et je l'ai posée sur ma table de nuit. Le paquet Christian Dior était posé à côté comme si de rien n'était.

Aaahhh !!! mes chéries...

Pour le dîner, je vais vous faire un poulet au Boursin i-nou-bli-able !
Bon, d'abord choisir le vin... et mettre un tablier bien sûr.
Et pour le dessert, un gateau de semoule avec beaucoup de rhum. Fanny adore ça.

Je ne dis pas qu'on s'est pris dans les bras en se serrant très fort et en secouant la tête comme le font les américains. Elles m'ont juste un peu souri en franchissant le seuil et j'ai vu dans leur visage toutes les petites fleurs du Jardin des Plantes.
Pour une fois, on n'était pas tellement pressé de débarrasser. Après la débauche de la veille personne n'avait l'intention de sortir et Mimi nous a servi un thé à la menthe sur la table de la cuisine.

- C'est quoi cette cage ? a demandé Fanny.
- Je l'ai acheté aux Puces ce matin à un gars qui ne vend que des cages anciennes... Elle te plaît ?
- Oui.
- Eh bien c'est pour vous.
- Ah bon ! Merci. Mais en quel honneur ? parce qu'on est pleines de tact et de délicatesse, a plaisanté Myriam en se dirigeant vers le balcon avec son paquet de Craven.
- En souvenir de moi. Vous n'aurez qu'à dire que l'oiseau s'est envolé...
- Pourquoi tu dis ça !?
- Je m'en vais les filles.
- Tu t'en vas où ???
- Je vais aller habiter ailleurs.
- Avec qui ???
- Seul.
- Mais pourquoi ? C'est à cause d'hier soir... Écoute je te demande pardon, tu sais j'avais trop bu et...
- Non, non t'inquiète pas. Ça n'a rien à voir avec toi.

Fanny avait l'air vraiment sonnée et j'avais du mal à la regarder en face.
- T'en as marre de nous ?
- Nan c'est pas ça.
- Ben pourquoi alors ? On sentait que les larmes lui montaient aux yeux.
Myriam était plantée là entre la table et la fenêtre avec sa clope au bec qui pendait tristement.
- Olivier, hé, qu'est-ce qui se passe ?
- Je suis amoureux.
Tu pouvais pas le dire tout de suite espèce de crétin.
Et pouquoi tu nous l'as pas présentée ? Quoi ! t'as peur qu'on la fasse fuir. Tu nous connais bien mal... Si ? Tu nous connais bien... Ah ?
Elle s'appelle comment ?
Elle est mignonne ? Oui ? ah merde...
Quoi ? Tu ne lui as presque pas parlé ! Mais t'es con ou quoi ? Oui t'es con ?
Mais non t'es pas con.
Tu ne lui as presque jamais parlé et tu déménages à cause d'elle ? tu crois pas que tu mets la charrue avant les bœufs ? Tu mets la charrue où tu peux... vu comme ça, évidemment...
Tu vas lui parler quand ? Un jour. D'accord je vois le travail... Elle a de l'humour ? Ah, tant mieux, tant mieux.
Tu l'aimes vraiment ? Tu veux pas répondre ? On t'emmerde ?
T'as qu'à le dire tout de suite.
Tu nous inviteras au mariage ? Seulement si on promet d'être sage ?
Qui va me consoler quand j'aurai le coeur en compote ?
Et moi ? Qui va me faire réviser mes cours d'anat' ?
Qui va nous chouchouter maintenant ?
Elle est mignonne comment tu disais ?
Tu lui feras du poulet au Boursin ?
Tu vas nous manquer tu sais.

J'ai été étonné d'emmener si peu de choses. J'avais loué une fourgonnette et un voyage a suffi.
Je ne savais pas si je devais le prendre bien, genre voilà la preuve que tu n'es pas trop attaché aux biens de ce monde mon ami, ou carrément mal, genre regarde mon ami : bientôt trente ans et onze cartons pour tout contenir... Ça ne fait pas bien lourd hein ?
Avant de partir je me suis assis une dernière fois dans la cuisine.


*

Les premières semaines, j'ai dormi sur un matelas à même le sol. J'avais lu dans un magazine que c'était très bon pour le dos.
Au bout de dix-sept jours, j'ai été chez Ikéa : j'avais trop mal au dos.
Dieu sait que j'ai retourné le problème dans tous les sens. J'ai même dessiné des plans sur du papier à petits carreaux..
La vendeuse aussi pensait comme moi : dans un logement aussi «modeste» et aussi mal fichu (on aurait dit que j'avais loué trois petits couloirs...), le mieux c'était un canapé-lit.
Et le moins cher, c'est un clic-clac.
Va pour un clic-clac.

J'ai aussi acheté un set-cuisine (soixante-cinq pièces pour 399 francs, essoreuse et râpe comprises), des bougies (on ne sait jamais...), un plaid (je ne sais pas, je trouvais que ça faisait chic d'acheté un plaid), une lampe (bof), un paillasson (prévoyant), des étagères (forcément), une plante verte (on verra bien...) et mille autres bricoles (c'est le magasin qui veut ça).

Myriam et Fanny me laissaient régulièrement des messages sur le répondeur du genre :
Tuuuuut « Comment on allume le four ? » Tuuuuut « On a allumé le four mais maintenant on se demande comment changer un plomb parce que tout a sauté... » Tuuuuut « On veut bien faire ce que t'as dit mais où t'as rangé la lampe de poche ?... » Tuuuuut « Hé c'est quoi le numéro des pompiers ? » Tuuuuut...

Je crois qu'elles en rajoutaient un peu, mais comme tous les gens qui vivent seuls, j'ai appris à guetter et même à espérer le petit clignotant rouge des messages en rentrant le soir.
Personne n'y échappe je crois.

Et soudain, votre vie s'accélère drôlement.
Et quand je perds le contrôle de la situation, j'ai tendance à paniquer, c'est bête.
Qu'est-ce que c'est « perdre le contrôle de la situation » ?
Perdre le contrôle de la situation, c'est tout simple. C'est Sarah Briot qui s'amène un matin dans la pièce où vous gagnez votre vie à la sueur de votre front et qui s'assoit sur le bord de votre bureau en tirant sur sa jupe.
Et qui vous dit :
- Elles sont sales tes lunettes non ?
Et qui sort un petit bout de liquette rose de dessous sa jupe et qui essuie vos lunettes avec comme si de rien n'était.
Là, vous bandez si bien que vous pourriez soulever la table (avec un peu d'entraînement bien sûr).
- Alors il paraît que t'as déménagé ?
- Oui, il y a une quinzaine de jours.
(Ffffff respire... tout va bien...)
- T'es où maintenant ?
- Dans le dixième.
- Ah ! c'est marrant moi aussi.
- Ah bon ?!
- C'est bien on prendra le métro ensemble comme ça...
(C'est toujours un début.)
- Tu ne vas pas faire une pendaison de crémaillère ou un truc dans ce goût là ?
- Si si ! Bien sûr !
(Première nouvelle.)
- Quand ?
- Eh bien, je ne sais pas encore... Tu sais, on m'a livré mes derniers meubles ce matin alors...
- Pourquoi pas ce soir ?
- Ce soir ? ah non, ce soir, ce n'est pas possible. Avec tout le bazar et... Et puis je n'ai prévenu personne et...
- Tu n'as qu'à inviter que moi. Parce que moi, tu sais, je m'en fous du bazar, ça ne peut pas être pire que chez moi !...
- Ah... ben... ben si tu veux. mais pas trop tôt alors !?...
- Très bien. Comme ça j'aurai le temps de repasser chez moi pour me changer... Neuf heures ça te va ?
- Vingt et une heures, très bien.
- Bon, ben, à tout à l'heure alors ?...
Voilà ce que j'appelle « perdre le contrôle de la situation ».

La concierge me guettait, oui ils ont livré vos meubles mais quelle affaire avec le canapé pour monter les six étages !
Merci madame Rodriguez, merci. (Je n'oublierai pas vos étrennes madame Rodriguez...)

Trois petits couloirs en forme de champ de bataille ça peut avoir du charme...

*

Mettre le tamara au frais, réchauffer le coq au vin, à feu doux, d'accord... ouvrir les bouteilles, dresser une table de fortune, redescendre dare-dare chez l'Arabe chercher des serviettes en papier et une bouteille de Badoit, préparer la cafetière, prendre une douche, se parfumer (eau Sauvage), se curer les oreilles, trouver une chemise pas trop froissée, baisser l'alogène, débrancher le téléphone, mettre de la musique (l'album Pirates de Rickie lee Jones, tout est possible là-dessus...) (mais pas trop fort), arranger le plaid, allumer les bougies (tiens tiens...), inspirer, souffler, ne plus se regarder dans la glace.
Et les préservatifs ? (Dans le tiroir de la table de nuit, est-ce que ça fait pas trop près ?... et dans la salle de bains, est-ce que ça fait pas trop loin ?...)
Dring, dring.
Peut-on décemment dire que j'ai la situation bien en main ?

Sarah Briot est entrée chez moi. Belle comme le jour.

Plus tard dans la soirée alors que nous avions bien ri, bien dîné et laissé s'installer quelques silences rêveurs, il était clair que Sarah Brio passerait la nuit dans mes bras.

Seulement j'ai toujours eu du mal à prendre certaines décisions et pourtant, c'était vraiment le moment de poser mon verre et de tenter quelque chose.
Comme si la femme de Roger Rabbit était assise tout près de vous et que vous pensiez à votre plan d'épargne-logement...

Elle parlait de je ne sait quoi et me regardait du coin de l'oeil.
Et soudain... soudain... j'ai pensé à ce canapé sur lequel nous étions assis.
Je commençais à me demander vraiment, intensément et posément comment ça s'ouvrait un clic-clac ?
Je pensais que le mieux serait de commencer par l'embrasser assez fougueusement puis de la renverser adroitement pour l'allonger sans incident...
Oui mais après... avec le clic-clac ?

Je me voyais déjà en train de m'énerver en silence sur un petit loquet tandis que sa langue chatouillait mes amygdales et que ses mains cherchaient mon ceinturon...
Enfin... pour l'instant, ce n'était pas vraiment le cas... elle commençait même à esquiver l'amorce d'un baillement...

Tu parles d'un Don Juan. Quelle misère.
Et puis j'ai pensé à mes soeurs, je riais intérieurement en pensant à ces deux harpies.
On peut dire qu'elles auraient été à la fête si elles m'avaient vu en ce moment avec la cuisse de miss Univers contre ma cuisse et mes soucis domestiques pour ouvrir un canapé-lit de chez Ikéa.

C'est à ce moment-là que Sarah Brio s'est retournée vers moi et qu'elle m'a dit :
- Tu es mignon quand tu souris.
En m'embrassant.

Et là, à cet instant précis, avec 54 kilos de féminité, de douceur et de caresses sur mes genoux, j'ai fermé les yeux, j'ai rejeté ma tête en arrière et j'ai pensé très fort : « Merci les filles ».

fin

           

1 2 3 4 5 6 7 8 9  10  11 12