La règle qui me dirige est la suivante : pas d'erreur substantielle à craindre si mon attitude intérieure à pour résultat de me rendre plus fidèle, plus attentif, plus passionnément intéressé aux hommes et à la tâche humaine, moins préocccupé, en même temps, de moi-même égoïstement. En transposant cette règle un peu plus haut, il me semble que vous ne risquez rien tant que l'esprit qui vous porte vous rendra plus vivante humainement (au beau sens du mot), et en même temps plus attachée à ce qui fait l'essence du Christ : sa personnalité physiquement réelle, sa divinité, sa manifestation dans et par l'Église.
Ce qui rend la "haute mystique" dangereuse, ce sont les ecarts qui lui font perdre de vue la Matière, c'est-à-dire d'une part les conditions physiques du monde qui monte avec nous, et d'autre part les conditions physiques (marquées dans l'Église) de l'incarnation qui nous soulève. Une vraie mystique «de la matière» exige que nous soyons «ultra-humains» et «ultra-chrétiens»; elle nous force logiquement à être suprêmement réalistes, et suprêmement attachés aux conditions historiques et vitales du développement chrétien. Dieu finalement n'est attingible qu'au-delà de la possession du monde, non point par une négation, mais par une sorte de "retournement" des choses visibles. C'est principalement la notion et le geste de ce retournement qui sont à découvrir, à la lumière du désir et de la prière.
PIERRE TEILHARD DE CHARDIN, S.J.
Le père jésuite Pierre Teilhard de Chardin († 1955), membre de l'Académie des sciences, mena de front la rédaction d'une importante oeuvre thélogique et des recherches en paléontologie et en géologie.