Le Carême avec Bernadette

 

Bernadette Soubirous menait à Lourdes une existence bien difficile où la pauvreté, la maladie, la mauvaise réputation obéraient largement le quotidien de sa famille. Elle n'était revenue de Bartrès, où elle gardait les moutons, que pour suivre le catéchisme et faire enfin sa première communion. Voici que le 11 février 1858, face au rocher de Massabielle, elle rencontre pour la première fois la «Dame». Au cours de dix-huit apparitions, la Vierge Marie fera découvrir à l'adolescente de 14 ans l'importance de la conversion et de la pénitence, la source jaillissante sous le rocher et la nécessité de construire une église pour que les pélerins viennent avec confiance. Cette année-là, le Carême débute tôt, le 17 février.

Il se trouve qu'en 2007, notre Carême commence le 21 février, quelques jours après la fête de Notre Dame de Lourdes*. De plus, depuis 1992, le 11 février est aussi la journée mondiale des malades.

Dans la cité "mariale", on fréquente tant de personnes atteintes de maux physiques ou mentaux que l'on désire avec ardeur leur guérison. Mais ce qui est encore plus sûr, bien que ce soit moins voyant, c'est le nombre considérable de malades spirituels, de pécheurs, qui viennent là pour se mettre à l'école de Bernadette et obtenir leur guérison, le pardon de Dieu.

Au cours de son ministère public, Jésus a opéré bien des guérisons, mais il n'a cessé de proclamer la rémission des péchés par le sacrifice de la croix. Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecins, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs, pour qu'ils se convertissent. (Lc 5, 31-32, samedi après les Cendres). C'est l'appel central du temps du Carême. En bénissant les cendres liturgiques, l'Église prie pour ceux qui en seront marqués. «En nous appliquant à observer le Carême, puissions-nous obtenir le pardon de nos péchés et vivre de la vie nouvelle.»


Entrez dans la grotte

Bernadette est venue jusque devant le rocher où elle a prié et regardé. Ce n'est qu'à la troisième apparition, le lendemain du mercredi des cendres, que, sur un signe de la "Dame", elle ose pénétrer à l'intérieur de ce qui se révèle être une grotte. Dans ce lieu secret, le dialogue va se nouer et la jeune fille comprendra sa mission.

Au cours de la messe des Cendres, j'entends l'invitation du Christ : Toi, retire-toi au fond de ta maison, [...] et prie ton Père qui est présent dans le secret (Mt 6, 6). Quitter pour un temps le quotidien et ses préoccupations, s'échapper du bruit trépidant de la cité pour regarder autrement la réalité et mieux comprendre l'engagement évangélique, pour apprivoiséer le silence et se mettre à l'écoute de l'Autre.

Cette heureuse expérience est offerte comme une grâce pour les semaines du Carême : elle est, par bien des aspects, proche de celle que firent les apôtres lors de la Transfiguration. Comme Pierre, le disciple pourra confesser : Maître, il est heureux que nous soyons ici ! ( Lc 9, 33, 2ème dimanche de Carême C). "Ici" c'est devant Moïse, le patriarche, et Élie, le prophète, qui entourent Jésus, le Verbe fait chair. "Ici" c'est devant l'Écriture sainte, le temps de la lectio divina.

Pour s'avancer dans la grotte, pour fermer la porte de sa maison, pour faire retraite, il est nécessaire de consentir, comme Moïse, à faire un détour pour voir cette chose extraordinaire (Ex 3, 3, 3e dimanche de carême C) Or, la "chose extraordinaire", ce n'est ni plus ni moins que le Tout-Puissant, qui s'entretient avec l'homme et lui révèle son nom !


Priez pour la conversion des pécheurs

La huitème apparition se déroule au cours de la première semaine du Carême, en 1858. Les quatre visites précédentes se sont passées dans le silence et la prière; pourtant Bernadette est revenue. Ce jour-là, celle qui n'a pas encore donné son identité demande à plusieurs reprises à la jeune fille de bien vouloir prier pour les pécheurs et d'embrasser la terre en signe de pénitence.

Adam avait été tiré de cette terre, c'est le sens même de son nom. Il s'était détourné de la volonté divine, il avait péché. Le créateur lui rappelle que sans lui, sans la force de l'Esprit qui anime la glèbe, l'homme n'est rien. «Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras poussière» (cf. Gn 3, 19). C'est justement à l'annonce de ce verset que le baptisé se fait imposer les cendres; en aucun cas ce n'est une condamnation, c'est une invitation à se rassaisir, autrement dit à se convertir.

L'une des attitudes pénitentielles, qui est reçue de la tradition, est l'agenouillement. Il s'agit de reconnaître notre petitesse devant le Seigneur. Nous comprenons ainsi d'autant mieux qu'il désire nous remettre sur pied, il nous fait tenir debout, dans l'attitude caractéristique de la résurrection. Citant le deutéronome, Jésus répond au Tentateur : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu et c'est lui seul que tu adoreras (Lc 4, 8, 1er dimanche de Carême C) De son côté, le fils cadet de la parabole (Lc 15, 11-24, 4e dimanche de Carême C) était littéralement tombé à terre et il n'y trouvait rien à manger... alors il reconnut sa situation. Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi. Le père miséricordieux saisi de pitié le vit de loin et courut à sa rencontre pour le couvrir de baisers. Le pardon du père relève le fils et lui rend sa dignitié.

Le message de la Vierge à Lourdes n'est autre que celui de saint Paul à Corrinthe et c'est le même que porte l'Église au monde entier. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconciler avec Dieu (2 Co 5, 20, 4e dimanche de Carême C).


Allez boire à la source

Le lendemain de l'insistante provocation à la confession des péchés, celle qui s'avéra être l'Immaculée Conception propose à Bernadette «d'aller boire à la source et de s'y laver». Bernadette pense d'abord naturellement à l'eau du gave tout proche, mais Marie indique de son doigt le rocher. La petite n'y trouve que de la boue et, même après avoir gratté la terre, elle ne peut boire l'eau, trop sale. Ce n'est qu'au bout de la quatrième tentative qu'elle parvient à se désaltérer. Aujourd'hui, la source sous le rocher est toujours jaillissante et les pélerins viennent par millions y boire et s'y laver.

L'allusion à la fontaine baptismale est évidente. Le temps du Carême prépare tous les baptisés à y revenir solennellement dans la nuit pascale, tout comme il prépare les catéchumènes à s'en approcher. Avec l'exsultet, tous prieront. « Seigneur, regarde avec amour ton Église et fait jaillir en elle la force du baptême » (bénédiction de l'eau baptismale).

Le projet du créateur se réalise. Ne songez plus au passé. Voici que je fais un monde nouveau [...]. Je vais faire passer [...] des fleuves dans des lieux arides pour désaltérer le peuple, mon élu. Ce peuple que j'ai formé pour moi redira ma louange. (Lc 43, 18... 21, 5e dimanche de Carême C).

Dans la longue liturgie de la Parole de la vigile pascale sera évoqué la figure du peuple d'Israël traversant le désert vers la terre promise. L'Apôtre, méditant sur ce long cheminement dans la lumière de l'Évangile, écrit : « Tous, ils ont bu à la même source, qui était spirituelle; car ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c'était déjà le Christ (1 Co 10, 4, 3e dimanche de Carême C).

La Vierge Marie était au pied de la croix et elle a vu le rocher d'où provient la source, le coeur de son fils. Cachée dans l'infractuosité de la grotte de Massabielle, elle continue de le montrer à ses enfants.

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Durant les quarante jours du Carême, nous pouvons nous tenir à la place de Bernadette pour prier, pour méditer, pour nous laisser convertir par la parole de Notre Dame à Cana : Faites tout ce que [le Christ] vous dira (Jn 2, 5). Égrenant notre chapelet, nous répéterons : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs. »

Père Yvon Aybram

 

* Cette année, Notre-Dame de Lourdes et sainte Bernadette tombent, respectivement, les 6e et 7e dimanches du temps ordinaire qui, selon le calendrier liturgique, ont la préséance sur ces mémoires.