Extraits...
«Mère Teresa a attendu pendant toute l'année au cours de laquelle l'Inde est devenue indépendante. Pendant ce temps, Sa Grâce pesait les complixités du problème, et lui parlait rarement.» L'archevêque fit en tout cas comprendre à Mère Teresa que la question devait rester secrète, et qu'elle ne devait même pas en faire état devant ses supérieurs.
Fin 1947, Monseigneur Perier permit finalement à Mère Teresa d'écrire à la mère générale de Lorette, à Rathfarman, pour lui demander sa sortie de l'ordre. Il tint cependant à ce que la lettre lui soit montrée avant d'être envoyée. Mère Teresa la rédigea avec sa simplicité de ton coutumière, et le père van Exem se chargea de la dactylograhier. Elle y expliquait l'Appel qu'elle avait reçu, et réclamait la permission de travailler dans les bidonvilles en tant que religieuse, après qu'on lui ait accordé l'exclaustration. L'archevêque refusa d'accepter ce terme, lui préférant celui de "sécularisation". Mère Teresa et son directeur de conscience en furent choqués; cela signifiait qu'elle ne serait plus une religieuse ayant prononcé ses voeux, mais une simple laïque, une sorte d'assistance sociale. Le père van Exem tenta en vain de fléchir Monseigneur Périer.
Mère Teresa s'exécuta. La réponse de la mère générale, transmise par l'intermédiaire de l'archevêque, lui parvint presque aussitôt. Le père van Exem me l'a cité textuellement :
Chère Mère Teresa,
Ceci s'étant manifesté comme la volonté de Dieu, je vous donne par la présente la permission d'écrire à Rome. N'en parlez pas à votre supérieure, n'en parlez pas à votre provinciale. Je n'en parlerai pas à mes conseillers. Mon consentement suffit. Toutefois, quand vous écrirez à Rome, ne demandez pas la sécularisation, mais l'exclaustration.
La mère Gertrude n'aurait pas pu lui offrir de meilleur soutien. Mère Teresa et le père Exem furent ravis de voir que leurs prières étaient exaucées : elle avait désormais la permission de s'adresser à Rome.
[...]
La lettre fut transmise au nonce apostolique de Delhi. Des semaines, puis des mois passèrent, pendant lesquels Mère Teresa attendit et pria. (...)
Puis, fin juillet 1948, Monseigneur Périer convoqua le père Exem. Il venait, le jour même, de recevoir le décret du Vatican, que lui avait transmis le nonce apostolique. Mère Teresa se voyait accorder l'exclaustration ! Elle restait religieuse, et recevait la permission d'oeuvrer en dehors du couvent. On lui accordait ainsi ce que, trois siècles plus tôt, on avait refusé à Mary Ward, une anglaise qui, au XVIIe siècle, avait voulu vivre au milieu des plus pauvres, et avait fondé l'Institut de Marie, dont les soeurs de Lorette étaient les héritières; mais en 1690, le Vatican avait mis un terme à ses activités, en exigeant que les religieuses soient cloîtrées.
Il y avait toutefois une restriction : Mère Teresa resterait un an hors du couvent et, à l'issue de cette période d'essai, il reviendrait à l'archevêque de décider si elle poursuivrait sa tâche, ou devrait retourner à Lorette.
C'est le 6 août 1948 que le père van Exem fut autorisé par Monseigneur Périer à apprendre la nouvelle à Mère Teresa. (...)
Désormais, il n'y vait plus de raisons de garder le secret. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, non seulement à Entally même, mais aussi parmi les missionnaires de Calcutta. Soeur Marie-Thérèse Breen se souvient : «Nous étions stupéfaites, parce que nous n'en avions jamais discuté : c'était un problème personnel et nous n'en avons rien su jusqu'à ce qu'elle s'en aille.»
Pendant ce temps, des lettres partirent, destinées à tous les établissements indiens de l'ordre, à qui il était demandé de ne pas commenter la décision de Mère Teresa, pour l'approuver ou la critiquer, mais simplement de prier pour elle.
Ce soir là, Mère Teresa se rendit à la sacristie de la chapelle du couvent et demanda au père van Exem de bénir la tenue qu'elle porterait désormais. Dans la pièce se trouvaient trois saris blancs bordés de bleu, sur lesquels étaient déposés une petite croix et un rosaire. Le père van Exem se souvient de la scène : «Mère Teresa était debout derrière moi, à côté d'elle mère Marie du Cénacle sanglotait. J'ai béni les saris parce qu'ils seraient pour elle un habit religieux.»
Les conseils du père van Exem s'étaient déjà révélés très avisés. Comme elle souhaitait travailler dans les bidonvilles, une certaine formation médicale lui serait nécessaire : elle tomba d'accord. Elle écrivit donc aux soeurs de la mission médicale de Patna, dans l'état voisin du Bihar, et elles l'invitèrent sans hésitation à venir se former dans leur hôpital.
Mère Teresa se tourna également vers son directeur de conscience afin qu'il se charge d'une tâche particulièrement délicate. Elle avait déjà écrit à sa mère, à Skopje, pour l'informer qu'elle quittait Lorette, et pria le père van Exem de faire de même, pour l'assurer que c'était afin d'obéir à l'Appel, avec la permission du Vatican, sans avoir rompu ses voeux.
Le 17 août, pour la première fois, elle porta un de ses saris bénis par le père van Exem. Ses élèves tentèrent de l'apercevoir mais en vain, car il faisait déjà nuit quand elle sortit furtivement du couvent d'Entally. La «Teresa bengali» avait entamé son petit chemin.
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