1-2-3-4-5-6-7
Accueil
Suite "Les pieds dans le plat" - Michel Serrault
Extraits...
11 janvier 2003
Grâce à des relations que j'entretiens fidèlement, il m'arrive souvent de prendre mes repas à l'Elysée. Disons-le tout net : la nourriture est un peu gâchée là-bas. Il y a des restes, et souvent en grande quantité. Il faut y aller le matin très tôt pour être certain d'être bien servi dans la profusion de victuailles rescapées des dîners officiels du Président. Vous arrivez discrètement avec des petites boites en plastique, et ils remplissent tout ce qui se présente généreusement. C'est une adresse à connaître et à ne pas révéler. Pour y accéder, ne pas prendre la porte principale, rue du Faubourg-Saint-Honoré, mais une petite rue, derrière, sur laquelle donnent les cuisines. Vous trouverez là une petite entrée de service qui sent bon la friture. Quelques principes simples à respecter : ne jamais s'y rendre le samedi matin, car le vendredi, l'Elysée fait maigre, et le poisson frais ne tient pas quarante-huit heures. Inutile non plus d'y aller le lendemain du 14 juillet. Les grandes réceptions sont moins soignées que les petites et il ne reste plus rien à manger quand les invités de la garden-party sont passés par là. Ma femme et moi n'abusons pas de cette formule mais en fin de mois, quand les difficultés se font sentir, il est toujours pratique de pouvoir compter sur les cuisines de l'Elysée. C'est une façon de faire des économies sans trop modifier son train de vie.
15 janvier 2003
Il répond aux journalistes, insatiables. Il traite avec les inspecteurs du fisc, qui donnent régulièrement de leurs nouvelles. Il parle avec les banquiers, que je connais à peine. Il négocie avec l'intraitable guichetière de la sécurité sociale qui pourtant, m'admire "énormément". Il prend des rendez-vous chez le médecin. Peut-être même, par excès de zèle, subit-il les consultations à ma place. Il me rappelle mon numéro de téléphone que j'ai déjà oublié. Mon adresse, même, quand après le théâtre, je ne sais plus chez qui rentrer.. Il discute, avec violence parfois, avec des producteurs de tous les pays dans toutes les langues. Il incendie, à ma place, les metteurs en scène imbéciles. Il menace, sait toujours y mettre les formes, les goujats de plus en plus nombreux dans ce métier qui pourraient me manquer de respect. Il prévient les réalisateurs d'émissions de télévision : "Michel ne fera pas cela" , et ment honteusement, à ma demande, aux emmerdeurs patentés : "Michel aurait été très heureux d'être parmi vous, hélas, il est en voyage au Cameroun." Il se met en colère à ma place pour m'éviter d'interminables brouilles inutiles. Il arrange, dans le même temps, les rendez-vous de chantier et les conciliabules avec les architectes. On le dit parfois dur en affaires et difficile en négociations alors qu'il reflète l'intransigeance de mon caractère qu'il protège affectueusement. IL est probablement plus diplomate que moi. Sans lui, je me serais emporté des centaines de fois contre les margoulins et les incultes que la vie de comédien oblige à croiser, parfois même à fréquenter. D'ailleurs, je ne vais pratiquement plus aux rendez-vous nécessaires à mon activité. Il assure. Et c'est très bien ainsi. Est-ce un agent, un producteur, un homme de confiance ? C'est ma mémoire, ma relation avec le monde du spectacle et avec l'extérieur en général. Il s'appelle Philippe Chapelier.
14 avril 2003
Pendant ce temps, la guerre en Irak bat son plein. Georges Bush me fait peur. Les scènes de bombardements de Bagdad à la télévision me glacent le sang. Cette guerre plus longue que prévue par "les experts" multiplie les morts de part et d'autre dans un but clairement identifié : s'emparer du pétrole irakien. Assez de naïveté à cet égard. Qui peut croire aux prétendus élans humanistes de l'Amérique et de la Grande-Bretagne voulant "libérer" la population ? L'a-t-on consultée ? Lui a-t-on annoncé le désordre que va suivre inévitablement cette intervention ? La guerre civile, peut-être, le chaos, le sang, les règlements de comptes... Tout cela, comme toujours, sur le dos des plus faibles. Quand tous les musulmans seront remontés définitivement contre l'Occident, il faudra se souvenir de la responsabilité historique de Georges Bush. Quelle inconscience ! Et ce sentiment d'impuissance devant la télévision qui montre les dégâts humains et matériels de plus en plus lourds.
24 avril 2003
Souvent, quand je commence à aborder un rôle, des choses venues de je ne sais où remontent à la surface. Où ai-je vu cela ? Je ne m'en souviens pas toujours. Je reste rarement passif devant les gens et les choses. Je prends le temps de regarder, de m'arrêter, de m'enrichir sans but précis au moment où je le fais. Et ce temps passé avec des gens au destin extraordinaire ou parfaitement banal devient un trésor englouti au fond de moi dans lequel je puise régulièrement quelques pépites. Perméabilité et invention, voilà ma part du secret.
5 mai 2003
Une feuille volante me tombe sous la main, ce matin, en triant quelques factures impayées. C'est un mot de Michel Audiard. Ecrit pour qui ? pour quoi ? Je ne m'en souviens plus. Mais c'est rasssurant de le relire, des dizaines d'années plus tard, quand, comme tous les artistes, on doute chaque jour de soi :
Je vous le demande, Monsieur, mais plus encore à vous Madame, qu'est-ce qu'il a de plus que les autres ?
Voyons les choses en face. Il est de taille moyenne, sa voix est quelconque, son regard ordinaire, il fait trente-neuf d'encolure, chausse du quarante et marche comme tout le monde. Et pourtant Michel Serrault a du succès. De plus en plus de succès.
Pourriez-vous, s'il vous plait, m'en donner les raisons ? Car enfin, Madame, dans nos belles écoles de comédie ce ne sont pas les sujets d'élite qui manquent : grands, beaux, forts, à la voix de stentor, aux mollets d'airain et au regard d'acier. Et vous le boudez ? Vous préférez l'autre ?
Ils jouent comme des truffes, dites-vous ?
Michel Serrault explose de talent, dites-vous ?
Evidemment c'est une explication. Cest même probablement la bonne. Merci Madame...
30 mai 2003
Je lis dans Le Figaro que "le catholicisme va disparaître". En voilà une nouvelle ! Lancée comme cela, sans prévenir, par un journal plutôt optimiste sur le sujet. On y écrit que la religion catholique est périmée, religion "fatiguée", de plus en plus concurrencée par les sectes, etc... Je ne crois pas ces balivernes. En Afrique, en Amérique du Sud, en Europe de l'Est, partout le catholicisme gagne du terrain. Il suffit de voir les foules qui accueillent Jean-Paul II pour se persuader de la bonne santé de l' Eglise. Je trouve même que les chrétiens d'aujourd'hui sont meilleurs qu'autrefois, plus engagés, plus conscients, plus généreux. Je ne suis pas nostalgique des messes en latin pendant lesquelles des foules de "fidèles" marmonnaient une langue ancienne qu'ils ne comprenaient pas. J'ai soixante-quinze ans. Les chrétiens d'aujourd'hui sont plus "branchés" qu'à mon époque. Tant mieux. et s'il doit y en avoir moins, mais de meilleure qualité, c'est une bonne chose pour l'Eglise. Même remarque pour les prêtres qui seront d'autant mieux compris s'ils s'engagent par vocation sincère plutôt que par obligation morale, familiale, sociale comme c'était trop souvent le cas au début du siècle dernier. Quand ce n'était pas par nécessité. Les séminaristes étaient gratuits et pour son fils, lui assurer un avenir, même modeste, relevait parfois de la survie d'une famille nombreuse. Ainsi le père de "Monsieur Pouget" qui a joué un si grand rôle théologique, n'avait que quatre vaches dans le Cantal pour subsister. Mais reste l'exemple, pour moi, de ce que la foi a produit de mieux. Un homme simple, un visionnaire, loin de sa hiérarchie, un pauvre type dans une chambre parisienne sans confort, que tout le monde venait consulter et dont le Pape lui-même redoutait les analyses. Cinquante ans après sa mort, on a retrouvé ses citations dans les textes de Paul VI et de Jean XXIII alors qu'il avait été longtemps isolé de l' Eglise. Il prêchait l'amour. Il était donc révolutionnaire. E ce message-là n'est pas près de disparaître. Je rêverais d'un film sur lui. Sa vie quotidienne ne manquait pas d'originalité, voire de drôleries parfois, tant il survolait les réalités terrestres. Un jour qu'il rencontre Halifax, venu spécialement de Grande-Bretagne pour évoquer avec lui les problèmes entre catholiques et anglicans, ils se saluent avec tellement d'enthousiasme qu'ils se cognent violemment la tête ! Ils étaient devenus aveugles tous les deux... Il lui faudra réécrire complètement son oeuvre pour l'imprimer car il avait oublié de placer un papier carbone entre les feuillets. (...)
.../...

Accueil
1-2-3-4-5-6-7