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LES PIEDS DANS LE PLAT
Michel Serrault
Extaits...
15 janvier 2004
L'affaire du voile islamique à l'école fait un tintouin de tous les diables. Je vais encore me faire engueuler par les femmes qui m'entourent (Nita, Nathalie et Gwendoline), mais je ne comprends pas ce faux scandale entretenu par les hommes politiques et les médias. Dans tous les pays du monde, en Grande-Bretagne notamment, les religions cohabitent à l'école sans trop de problèmes : musulmans, anglicans, juifs, sikhs, catholiques... tous portent des signes "ostensibles" de leurs croyance et personne ne s'en plaint. Je reconnais que les déclarations hallucinantes de certain Imam sur la lapidation des femmes choquent à juste titre nos compatriotes. Mais ne confondons pa les extrémistes avec l'ensemble des musulmans. Et n'oublions pas que nous avons fait venir par centaines de milliers des ressortissants d'Afrique du Nord pour travailler en France à des tâches ingrates, difficiles, souvent humiliantes. Ne faisons pas semblant de découvrir aujourd'hui leur religion. Le respect de la laïcité ne doit pas conduire à l'intolérance. Dieu merci, il y a encore de quoi sourire dans cette affaire. Qui va définir, par exemple, un signe "ostensible", une croix, une kippa, un chapelet ? À partir de quelle taille seront-ils tolérés ? Va-t-on déléguer quelqu'un, à l'entrée des classes, pour mesurer les crucifix autour du cou ? Et les piercings sur les sourcils ?
Une chose bizarre me surprend, ce soir, alors que je regarde la chaîne Mezzo : j'adore les concerts de grandes musique à la télévision. Goût étrange puisque seul le son importe aux mélomanes. Je ne suis pas d'accord. En voyant le dernier concert de Georges Cziffra, je peux apprécier le travail du chef d'orchestre, la présence des musiciens, l'harmonie qui se dégage d'un tel ensemble dans l'espace. Et Vivaldi à la télévision, c'est tellement mieux qu'une série américaine.
Et la soirée se termine par une émission de télévision, sur une grande chaîne, qui reçoit autour d'une table de fausses personnalités, des chanteurs dérisoires et des comiques pas drôles, le tout communie dans le rire gras et les compliments faciles. Dans le temps, le pétomane avait beaucoup de succès. Maintenant, ils pètent avec la bouche !
5 février 2004
La musique est pour moi l'art suprême, la discipline majeur devant laquelle je m'incline. Bach et Mozart, même interprétés par l'orchestre symphonique de la Garde républicaine, qui m'a invité ces jours-ci, me paraissent au-dessus de tous les créateurs. On rêve, on est porté, on imagine ce que l'on veut, la liberté est totale. Je peux passer des heures à écouter de la grande musique et à tenter, avec mon modeste bugle, d'en jouer un peu...
4 mars 2004
La mode est aux vieux de la vieille et à la nostalgie. On redécouvre à la télévision, Henri Salvador, ou Juliette Gréco... Les hommages à Jacques Brel et à Edith Piaf se succèdent chaque semaine sans parler des résurrections opportunes de Claude François ou de Dalida. Chacun ses vieux. Moi, je m'interroge toujours à propos de Raimu, Pierre Brasseur ou Michel Simon que j'admirais passionnément. Quel être merveilleux et secret ! Un neurasthénique qui avait probablement envie d'être aimé... Tout était dérisoire dans ses confessions. Un spécialiste de la pirouette pour mieux se dissimuler. Il n'était pas beau, c'est certain, et sans doute voulait-il effacer un peu la tristesse de la vie. «Je vous présente ma femme, m'a-t-il lancé un jour. Je l'ai trouvé dans une poubelle !...» Pourquoi disait-il cela ? Pour faire rire ? Pour jouer ? Pour ne pas pleurer.
5 mars 2004
Un journal à sensation -Ici Paris, je crois- écrit en gros titres : «Michel Serrault effondré par la mort de son frère.» On me découvre tout pâle en première page, affublé de lunettes noires sur une photo censée illustrer mon calvaire.
Quel est ce sinistre canular ? Le journal est affiché dans le kiosque de l'hôtel et, du coup, le réceptionniste de Quiberon se demande sur quel ton me parler. Faut-il me présenter des condoléances ? Ou prendre l'air indifférent et commercial ?
En vérité, une confusion s'est produite dans la rumeur qui est parvenue jusqu'aux journalistes. J'ai assisté, il y a quelques semaines, aux funérailles du Père Van Hamm, le prêtre qui a tant compté dans ma jeunesse, au temps du petit séminaire, et qui a accompagné les moments heureux et malheureux de toute ma vie. Peut-être ai-je dit à quelqu'un que je l'aimais "comme un frère" ? D'où l'invention du journal en question. Toujours est-il que j'ai été un peu déçu par la messe dans cette maison de retraite des vieux prêtres où il s'est involontairement retiré. Ils ont chanté assez pauvrement, sans orgue, en français. Un de ses amis a parlé de lui, un peu maladroitement, en disant : «Il était brave, sympathique, un saint prêtre, même s'il avait sur la religion des idées simplistes.»
Pourquoi "des idées simplistes" ?
Je n'ai pas compris. D'autant que la fin de sa vie n'a pas été heureuse. Une dépression l'a frappé quand on l'a obligé à quitter son ministère, à quatre-vingt ans, alors qu'il était le vicaire dévoué d'une paroisse parisienne. Je n'ai pas pu m'empêcher de souffler à un chanoine, à ses obsèques : «Vous l'avez tué en le virant de la chapelle !» Le religieux de la maison de retraite s'est offusqué : «Ils sont bien soignés ici, qu'est-ce que vous croyez ?», le tout sur un ton d'adjudant-chef.
Je n'oublierai pas le père Van Hamme. quand je le voyais, pauvrement vêtu, et que j'essayais de l'aider comme je pouvais en lui laissant un peu d'argent pour améliorer son ordinaire, lui qui s'était dévoué aux autres toute sa vie, je savais qu'il ne s'achèterait pas un nouveau manteau. «Dés que vous repartez, m'avait dit son bedeau, il distribue l'argent aux SDF du quartier.» J'aime bien, moi, ceux qui ont des idées "simplistes" sur la religion.
6 mars 2004
Suis-je de droite ? Suis-je de gauche ? Il faut à tout prix se définir, c'est la tendance des entretiens avec les journalistes. On m'a encore posé ce matin la question. En y réfléchissant un peu, je crois que je suis un militant du bon sens, avec ses préférences. L'Eglise de gauche me plaît plus que l'Eglise de droite... Mais je n'ai pas l'habitude de choisir mes interlocuteurs selon ce classement un peu facile. Je ne divise pas les gens en «hommes de gauche» contre les «hommes de droite». Je me sens plus proche des croyants que des incroyants, surtout quand ils sont sectaires.
En fait, je suis d'accord avec l'évêque de Bruxelles, dont je viens de lire l'ouvrage : il faut être du côté des pauvres. C'est le seul parti à prendre. Je crois à la solidarité. Croire en Dieu ne suffit pas ! Il y a trop de chrétiens indignes de leur foi. Il vaut mieux un athée solidaire qu'un mauvais catholique qui ne fait rien pour les autres. Je préfère rester ouvert aux individus croisés sur mon chemin, curieux de leur histoire, de leurs problèmes, plutôt que de partir en pèlerinage à Lourdes. Des pèlerinages, j'en fais tous les jours, en ouvrant les yeux et les oreilles sur le monde qui m'entoure.
7 mars 2004
Finalement, je suis un religieux. Ma vocation s'est déroulée contrairement à ce que j'avais prévu dans mon enfance, au petit séminaire. Je n'aurais pas pu respecter les voeux de chasteté et j'ai bien fait de renoncer à devenir prêtre. Mais il paraît que dans mon métier de comédien, dans mes choix, et même dans mon comportement quotidien, ma vocation s'exprime d'une autre façon. Peut-être que je suis resté curé dans l'âme . J'ai d'ailleurs gardé des tics de la vie monastique. Je dors mieux, par exemple, quand je fais le ménage ou la vaisselle auparavant. Même s'il n'y a que deux assiettes, deux verres et quelques couverts à nettoyer, cela me fait du bien. Cela m'apaise. J'aime tout effacer et repartir de zéro. Ainsi soit-il ! Allez comprendre...
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