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LES PIEDS DANS LE PLAT
Michel Serrault
Extraits...
1er juin 2003
Un jeune homme, Marc-Olivier Fogiel, s'est payé hier soir Brigitte Bardot à la télévision. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Je n'ai pas vu l'émission en question, mais j'imagine que Bardot a été manipulée par une équipe de jeune blancs-becs sans trop de scrupules : venez chez nous, on vous aime, on ne parlera pas de votre livre trop polémique, etc. Elle y est allée en confiance, sensible comme souvent au sourire charmeur de jeunes gens. Et elle s'est fait avoir.
Voilà pour la forme, qui n'est pas à l'honneur de son hôte. Sur le fond, je n'ai pas lu le livre. Elle y défendait des opinions discutables. Dommage ! Mais c'est son droit ! Ce n'est pas une femme politique. Elle n'est inscrite dans aucun parti. Elle n'est porte-parole d'aucun gouvernement. A-t-elle seulement les arguments, la culture politique, l'expérience, pour contrer des adversaires si retors ? Pourquoi les animateurs de télévision tirent-ils toujours sur les ambulances ? Cette émission réserve-t-elle le même traitement inquisiteur aux hommes politiques, aux industriels, aux producteurs de télévision ? Je ne crois pas. J'ai trouvé M. Fogiel plus sympathique avec Alain Delon, qui n'aurait d'ailleurs pas toléré un pareil traitement. (...)
Aujourd'hui, Brigitte Bardot consacre sa vie aux animaux. Elle est excessive ? Certainement. Son combat est sincère, passionné, un peu outrancier parfois, mais elle doit faire face à toutes sortes de gens (viandards, transporteurs d'animaux véreux, vivisecteurs...) qui ne sont pas l'expression la plus raffinée du genre humain.
Pour sa carrière, et pour sa croisade animalière, elle mérite doublement le respect. Surtout de ceux qui, hormis briller facilement à la télévision, ne font rien de bien intéressant.
Je l'ai croisé l'autre jour à une "fête des animaux" alors que nous ne nous sommes pas vu depuis quarante ans et j'ai senti un grand mouvement de sympathie de sa part. Normal, je suis devenu un vieux chien perdu...
14 juin 2003
J'ai vu hier soir Dominique Baudis à la télévision. Quelle image pitoyable ! Un homme public aux prises avec une rumeur effroyable -il aurait fait assassiner des prostituées apès les avoir torturées !- tenu de se justifier devant les caméras. Je ne connaissais pas cette rumeur. Mais je suis abasourdi que cet homme-là, parce qu'il est connu des Français, doive répondre devant l'opinion d'allégations lancées par un type du fond de sa cellule, qui a avoué, lui, plusieurs assassinats !
La presse a-t-elle prise la mesure de sa responsabilité dans cette affaire avant de lancer son nom en pâture ? Qui l'accuse ? Des faits ? Des cadavres ? Ou des gens englués eux-mêmes dans de sombres histoires sanglantes dont ils tentent de se dédouaner en salissant les premiers noms qui leur viennent à l'esprit ?
C'est un des revers de ce que l'on appelle la célébrité. Les pires rumeurs vous précèdent ou vous accompagnent. Chaque jour, en lisant le journal, je me demande si je ne vais pas trouver mon nom dans un fait divers épouvantable. Je n'ose même plus sortir de chez moi de peur que mon visage se rappelle à la mémoire d'un fou, d'un assassin ou d'un chef de gang. Il suffirait qu'il prétende me connaître pour que ma famille soit interrogée, mon nom publié dans toute la presse, et moi-même finalement prêt à démentir publiquement des crimes dont je n'ai pas eu encore la moindre idée.
Il en restera toujours quelque chose. Il y aura des spectateurs pour confondre les rôles qu'ils m'ont vu jouer avec la réalité. (...) Sans parler des témoins qui assureront avoir entendu dire, de source sûre, que j'ai participé à des parties fines en travesti avant de faire disparaître mes complices gênants dans une chaudière à charbon. Et L'Affaire Dominici ne va rien arranger.
Même dans les magasins, en faisant mes courses, j'avance profil bas. Je rase les murs, de peur qu'on me reconnaisse. S'il m'arrive de murmurer dans une charcuterie " c'est un peu cher ", je risque un procès interminable. Je prends mon paquet, la tête basse, pour ne pas me faire engueuler. Ce matin, par exemple, chez un traiteur généralement bondé, alors que je me promène dans les rayons en attendant mon tour, j'entends la patronne me lancer, d'un ton ferme, sans ménagement : " Monsieur Serrault, pouvez-vous m'attendre. Il faut que je vous voie ! " Elle tourne les talons comme pénétrée d'une mission urgente, indispensable. Tout se bouscule dans ma tête. Encore sous le coup de l'image de Dominique Baudis, hier soir, en sueur devant Claire Chazal, je me demande si je n'ai pas commis, moi aussi, l'irréparable. (...) Dans ses mains, une photo, d'assez bonne qualité, du tournage du film Dominici, sans doute découpée dans un magazine : " IL FAUT signer ça, monsieur Serrault ! " commande-t-elle contente de son effet. Je signe, sans hésitation, rapidement, heureux de m'en tirer à si bon compte, prenant au plus vite la direction de la sortie, satisfait de ne pas être poursuivi pour dettes, ou m'entendre reprocher je ne sais quel forfait commis inconsciemment. Oui, cela aurait pu tourner plus mal.
17 août 2003
(...) Pourquoi faut-il toujours "définir" le théâtre ! Je n'ai pas de diplôme. Peut-être même aucune culture. Et alors ? Des intellectuels, ou prétendus tels, veulent tout savoir, tout compliquer, trouver des fondements à toutes les démarches. Il y a toujours des gens pour intellectualiser le théâtre, le cinéma, la médecine, et même la religion. Pourtant, j'ai toujours préféré les curés les plus simples, qui font la charité, à ceux qui théorisent. En politique, même problème, on "intellectualise". On débat, sans fin, autour des tables rondes internationales, pour ne régler aucun problème. Il suffit d'un été à 40 degrés à l'ombre pour que les responsables paniquent, les hôpitaux appellent au secours, et les cimetières refusent les morts. Il faut donc se méfier des donneurs de leçons et des "philosophes" au théâtre. Jouvet lui-même ne disait-il pas à un jeune comédien : " Pour faire du cinéma, il faut une bonne chaise !... " quand on demandait à Charles Dullin comment il a appréhendé les frères Karamazov, il répondait : " J'ai finalement changé de costume, et j'ai trouvé ma voie... " Je ne dis pas autre chose aux jeunes acteurs sur les plateaux. " N'en fais pas trop ! Vas-y doucement, tu as plus de talent que tu ne crois ! Mais ce talent tu ne sais pas t'en servir..." Il en va de même pour moi. Je serais bien incapable d'expliquer avant un tournage comment je vais jouer tel ou tel rôle. Parfois quelques secondes avant le mot "moteur", je ne sais pas encore ce que je vais jouer. Je n'arrive pas avec des idées toutes faites, des analyses prémâchées, l'accumulation en tête des commentaires des auteurs, des ayants droits, et du biographe officiel du metteur en scène. Mais j'écoute mes partenaires, je leur parle, je joue avec eux, et j'attends d'eux la même écoute, et pourquoi pas, la même réceptivité et la même invention. C'est pour cette raison que j'aurais toujours plaisir à jouer avec Luchini pour peu qu'il veuille bien redescendre un jour à ma portée...
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