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LES PIEDS DANS LE PLAT
Michel Serrault

 

Extaits...

28 octobre 2003

Intermittents du spectacle. La formule est épouvantable. Ils devraient surtout manifester pour changer cette appellation administrative qui est, en soi, une forme de mépris. D'un autre côté, comment ne pas accepter le risque inévitable de notre métier d'artiste ? Difficile de justifier l'étrangeté d'un  système qui permet à quelqu'un de travailler quelques jours par an et de bénéficier d'une protection financière annuelle. Ai-je le droit de dire que certains figurants de cinéma refusent de tourner trois jours dans un film "pour ne pas perdre les Assedic" ? Combien de faux artistes profitent du statut d'intermittent du spectacle pour bénéficier du système ? Je suis naturellement solidaire de toutes les victimes des injustices, et il en a dans mon métier, mais il y a aussi des imposteurs sans talent qui fragilisent la protection sociale du plus grand nombre. Combien de poètes ne parviennent-ils pas à vivre de leur création ? Et combien de peintres couchent-ils sous les ponts car rien n'est prévu pour eux ? Un artiste court ce risque, celui de déplaire, celui de ne pas vendre, celui d'être libre aussi. Imaginons un peintre qui viendrait frapper à la porte des ministères : « Cela fait trente ans que je peins. Je n'ai jamais vendu un tableau. Pourrait-on me donner quelque chose ? »


30 octobre 2003

Un imbécile heureux, c'est bien, c'est humain, c'est même parfois magnifique. Mais un imbécile malheureux, c'est épouvantable. Il faut se battre pour rendre heureux les imbéciles. Cela changerait tout.


31 octobre 2003

José Bové est l'invité de l'émission «100 minutes pour convaincre.» Il n'est pas antipathique. Le maïs, les cultures transgéniques, l'industrie agricole, tout cela le passionne au point de se mettre en danger et d'aller en prison. Scientifiquement, il n'y connaît rien. Moi non plus. Quant aux scientifiques, ils sont capables de mentir comme des arracheurs de dents et de nous faire manger des saloperies, en toute connaissance de cause. Qui croire ? Dans le doute, je me remets au jardinage et au potager.


1er novembre 2003

La Toussaint et ses cortèges de chrysanthèmes. Je n'aime pas les processions dans les cimetières. Les gens que j'aime sont dans ma tête et dans mon coeur plus que dans ces lieux sinistres. J'y suis allé, bien sûr, dans un moment de cafard. Mais s'y retrouver à chaque fête de la Toussaint, à date fixe, comme on se souhaite la bonne année, n'est pas du tout mon truc.
Pourtant, je préfère la terre à la crémation. Je ne comprends pas le souhait des gens qui choisissent l'enfer dess flammes comme dernier rendez-vous. Et toutes ces cendres, qu'il faut balayer, c'est pour les femmes de ménages !... Non, je préfère l'idée de disparaître dans la terre. Ne compliquons pas les choses. Restons simple. Pas d'exigences folles : "Dispersez mes cendres au-dessus de la Comédie-Française !... «Plongez mon corps dans une lagune d'Amazonie !... Transportez mon cercueil sur un char d'assaut !...» Ridicule, prétentieux, assommant. Et ces familles qui se retrouvent alignées devant le crématorium. On a l'impression quelles souhaitent éliminer tout ce qui gène : brûlons tout cela... Un jour on se débarrassera des cadavres dans les poubelles et on les ramassera le matin.


2 novembre 2003

N'en déplaise aux blasés, la mesure de béatification de Mère Teresa revêt une forte portée symbolique. Et d'abord pour l'Eglise elle-même. Il n'est pas inutile de rappeler aux ecclésiastiques leur devoir fondamental : s'occuper des pauvres ! J'en ai assez de tous ces débats stériles sur l'euthanasie, le rôle des homosexuels, le droit à ceci ou à cela. L'Eglise doit rester constamment ouverte aux problèmes de société et ne pas se refermer sur elle-même. Mais son premier objectif, ce qui devrait guider tous les religieux, les prêtres, les évêques, les cardinaux, c'est de se mobiliser et de mobiliser les chrétiens pour assister les plus démunis, les malheureux, les pauvres ! C'est le message de Mère Teresa. C'est aussi celui du Christ ! La plupart des princes de l'Eglise ont oublié cette évidence et fréquentent les salons. Quant aux catholiques, ils feraient mieux de se conduire plus généreusement plutôt que de mépriser les autres. Au lieu de suivre l'exemple des planqués de l'Eglise capables de disserter pendant des heures sur trois phrases de la Bible, les hautes autorités spirituelles devraient donner l'exemple. Le père Pouget, que je cite souvent en référence, répétait intelligemment : «Appliquez ce qui est écrit dans l'Evangile, ni plus... ni moins !»


3 novembre 2003

(...) De manière générale, les acteurs ont peur d'être ridicules, d'en faire trop, et ils s'autocensurent. Il faut proposer et négocier - un mot que j'aime bien - avec le metteur en scène, car la surprise et le charme d'un film peuvent venir aussi de leur travail.


4 novembre 2003

J'ai du mal à prendre le Dalaï-Lama au sérieux. Je le vois à la télévision, ces jours-ci, à l'occasion d'une de ses  visites en France et je m'interroge sur le rayonnement de ce personnage.
C'est un brave homme. Son sourire immense est sympathique. Mais dés qu'il s'explique, je ne comprends rien. J'ai l'impression que ce qu'il propose peut convenir à tout le monde, d'où le succès de cette philosophie facile, sans grande exigence. Une sorte d'hygiène de vie, une gymnastique de l'esprit, un passe-temps agréable en quelque sorte. Le fils de l'écrivain Jean-François Revel l'a rejoint depuis longtemps et il est un peu son porte-parole en France. Je ne le trouve pas plus convaincant. Le bouddhisme paraît une proposition comme une autre, animée par un grand chef scout qui veut rassembler toutes les religions. On peut être catholique, juif, musulman... et bouddhiste. Cela ressemble tout de même à un scénario plein de bonnes intentions pour un film raté.


6 novembre 2003

Un commerçant me pose une question troublante, peut-être en me voyant un peu plus fatigué que d'habitude : « Pourquoi continuez-vous à travailler autant, monsieur Serrault ? Qu'avez-vous donc à prouver ? Vous n'êtes pas lassé du cinéma ?» Comment lui expliquer que les gens me passionnent et particulièrement ce qui se niche au fond de leur âme -les assassins, les cocus, les simples d'esprit, j'adore... Comment se lasser quand on est curieux, comme je le suis, de tous ceux qui m'entourent et auxquels je peux parler des heures entières, simplement dans la rue. Il y a toujours du plaisir à désarçonner ses contemporains en montrant la vérité d'un  pauvre chapelier qui, par bêtise, a zigouillé six ou sept bonnes femmes. Je me prends de passion, soudainement, pour la vie du savant Fontenelle qui tombe amoureux à quatre-vingt-douze ans et découvre les difficultés d'une relation sincère avec une jeune femme qu'il admire.

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