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LES PIEDS DANS LE PLAT
Michel Serrault

 

19 janvier 2004

Je voulais tout savoir. Pourquoi Dieu a-t-il créé l'humanité ? Que se passera-t-il après ? Pourquoi nous abandonnent-il à nos démons, aux cruautés, aux génocides ? Je m'interrogeais hier soir avec force, impossible de trouver le sommeil. J'étais en colère. Je voulais comprendre. Je me suis adressé à Dieu avec véhémence : « Vous nous devez des explications ! Répondez, nom de Dieu, répondez...»

Brutalement, Dieu le Père s'est adressé à moi, généreusement, chaleureusement, sur le ton d'un patriarche bon, bienveillant mais un peu dépassé par les événements. Voici en quelques mots ce qu'il m'a dit :

« Ecoute, Michel, ne te mets pas en colère comme ça, je vais tout t'expliquer. Je ne suis pas le monstre que tu crois, le "méchant bon Dieu", et tu n'es pas le seul à te poser des questions sur le sens de la vie. Ils sont là, dans le vestibule de l'éternité, à attendre par millions, et parfois depuis des dizaines d'années. Je n'ai pas le temps de recevoir tout le monde personnellement. En ce moment, des foules entières remontent vers moi et depuis quelque temps c'est un embouteillage monstre d'âmes nouvelles qui débarquent par milliers. Il y a là-dedans des gens très pressés. D'autres qui attendent depuis longtemps. Chacun son tour. Bien sûr, j'ai des explications à donner, mais il faut le temps. Certains se sont interrogés toute leur vie et finissent par entrevoir une solution quand, surprise, c'est le début de la fin ! Leur prétention était trop grande. D'ailleurs, disons-le franchement, moi non plus, je ne comprends pas tout, je ne maîtrise pas tout, et je me suis même laissé un peu dépasser par les événements de temps en temps. Pourquoi Dieu serait-il le seul à n'avoir pas droit à l'erreur ? »

J'étais sidéré d'une telle franchise et je m'enhardis à le pousser dans ses retranchements. Bien sûr que j'en sais, moi, un peu plus que d'autres sur sa vie et son fils envoyé sur terre, mais comment ne pas trembler pour Dieu, pour la religion, quand tant de gens parlent en mal, perdent confiance, se rebellent, montrent des signes d'impatience de plus en plus violents ? Moi, je crois en Lui, mais comment rassurer les autres ? "

Cher Michel, tu es un peu naïf. Et crois-tu que je peux consacrer du temps à convaincre la Terre entière ? Je vais te faire une confidence : j'ai reçu l'autre jour un de ces audacieux qui veulent tout savoir. Il m'expliquait que l'Eglise n'a pas toujours su transmettre mon message de façon claire. Il m'a posé une quinzaine de questions, très précises, très "humaines", sur le sens des choses et les tenants et aboutissants de la vie. J'étais bien incapable de lui répondre. D'autant que toutes ces préoccupations sont égoïstes, dérisoires, sans intérêt, au regard des grands chantiers qui m'attendent. La vérité est que nous sommes aux balbutiements d'un processus. Que sont tes pauvres soixante-quinze ans au regard de l'éternité ? Oui, c'est un début. Il y a des imperfections. Mais les difficultés que vous rencontrez en bas ne sont rien à côté des miennes, là-haut, depuis que cette aventure a commencé. Au départ, je l'avoue, les hommes ne m'intéressaient pas beaucoup. Les planètes, les étoiles, le soleil, oui, tout cela m'excitait énormément. Tu sais, tu es né de ma seule imagination ! Le ciel, les océans, les premiers paysages, c'était fascinant. Le tout sans architecte, sans décorateur d'espace, avec mon seul regard attaché à la beauté, à la sérénité, et à l'air pur, d'où la création rapide de l'oxygène..."

Soudain, des cloches sonnent furieusement, Dieu s'arrête.

«Excuse-moi, Michel, l'heure du thé... C'est sacré. A tout de suite...»

Un peu plus  tard, il poursuit ses étranges confidences.

«Enfin, j'ai eu un peu la "grosse tête" . J'ai voulu enrichir la création avec des végétaux, des animaux, et un jour, après une sieste bien méritée, je me suis lancé : si je créais les hommes ? C'est exactement comme cela que cela s'est passé, même si je simplifie un peu car j'ai conscience de m'adresser à un esprit limité. J'ai créé les hommes pour ne pas rester seul, même si mon environnement était agréable. Je les voulais parfaits, irréprochables, généreux, sensibles, secourables, soucieux du bien commun et un peu de moi. Résultat : tout le monde m'interroge en bas, comme tu le fais en ce moment même, sur ces petits problèmes, les guerres, la pollution, les maladies, comme si moi je n'avais pas les miens, un peu plus graves, comme si je n'avais pas mes colères, légitimes, mes déceptions, justifiées, et comme si je n'étais pas porteur moi-même d'une question lancinante : ce que j'ai fait correspond-il à ce que je voulais ? Je suis redescendu sur terre un jour, et ce n'était pas vivable. Depuis, sur le fond, rien ne s'est vraiment amélioré. J'ai expédié sur place des gens chargés de me représenter, mais ils ne sont pas toujours à la hauteur. Ils font ce qu'ils peuvent. Ce ne sont que des humains. Je ne peux pas en dire plus. J'ai du travail. Je suis débordé. Et des millions de gens attendent un monde meilleur... A bientôt Michel...»

Suffoqué et ébloui par ces révélations, j'interroge à nouveau le bon Dieu :

« Mon Dieu, merci de tant de franchise. Je comprends mieux votre désarroi. Mais moi, à mon tour, est-ce que je peux faire quelque chose d'utile pour vous ? Est-ce que je peux vous aider ? »

Et la réponse tombe, incroyable, de ce Dieu que j'imaginais tout-puissant :

«... Oui, Michel, n'oubliez pas de prier pour moi !...»

 

               

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